Cesser/ez le feu, cesser les combats ? De l'époque moderne à nos jours
Le Service historique de la Défense, le Zentrum für Militärgeschichte und Sozialwissenschaften der Bundeswehr, l’Institut des études sur la guerre et la paix (IHMC-UMR 8066, Paris 1) organisent les 27 et 28 novembre 2018 au château de Vincennes un colloque international intitulé « Cessez/er le feu, cesser les combats ? De l’époque moderne à nos jours ».
L’historiographie du fait militaire a bénéficié, ces dernières années, d’un profond renouvellement des regards, des objets et des méthodes dans le sillage des travaux de John Keegan. Mais malgré un intérêt croissant pour les phénomènes de reddition (P. Vo-Ha) ou encore pour l’expérience de la captivité de guerre (F. Théofilakis, F. Cochet) et plus généralement pour le sort des vaincus (C. Defrance, C. Horel et F.X. Nérard), l’analyse de l’arrêt des combats fait toujours figure d’angle mort. Or, les organisateurs de ce présent colloque postulent que cet objet constitue un prisme fécond pour questionner l’objet guerre : la manière dont on cesse le combat dit la guerre qui est pensée et menée.
Longtemps a prévalu, dans l’historiographie, une lecture des temps modernes et contemporains selon laquelle, à partir de 1650, aurait émergé une guerre réglée et régulée (J.-U. Nef, J. Meyer), remplaçant les temps de violence paroxystique et absolue des guerres de religion (D. Crouzet), avant que les guerres de la Révolution amorcent un processus de totalisation (J.-Y. Guiomar, D. Bell), trouvant son achèvement et sa réalisation dans les deux guerres mondiales (J. Horne). Or, l’étude de la fin des combats permet de repenser ce schéma, en postulant que la guerre laisse souvent une place à la négociation, même localisée, ponctuelle et limitée (T. Ashworth), et même lorsque la violence semble paroxystique et illimitée (T. Snyder, Ch. Ingrao), et motivée par des considérations d’ordre idéologique, culturel, anthropologique. Les organisateurs du colloque questionnent l’existence d’un modèle transactionnel de la guerre, évolutif, dans lequel viendrait se situer un continuum de modalités pour cesser le combat – et donc la violence –, de la trêve de plusieurs heures à plusieurs jours au niveau d’une unité, à la capitulation d’armées entières. Autrement dit, l’objectif de ce colloque est d’interroger les catégories traditionnelles de conflit – guerre régulée, guerre d’anéantissement, guerre « totale », à l’aune d’une économie de l’arrêt des combats, pensée au plus près du champ de bataille.
Cesser le feu, un calcul rationnel ?
La fin des combats est une affaire autant militaire que politique. On s’interrogera d’abord sur le processus conduisant à la cessation des combats, que celle-ci soit décidée au plus haut niveau de la sphère politico-militaire ou qu’elle semble dictée par l’évolution de la situation militaire, à plusieurs échelles. Le choix de cesser le feu plutôt que de continuer le combat résulte d’une forme de calcul rationalisé, dépendant de la manière dont on jauge la puissance de l’ennemi autant que la sienne. Il dépend aussi de « l’anatomie du champ de bataille » : combats sur terre, mer, dans les airs, terrain européen ou colonial, armes employées, structure des armées engagées, etc. Il répond, enfin, à des horizons d’attente spécifiques de la part des belligérants qui escomptent des bénéfices ou évaluent des risques à court et moyen terme. N’est-ce qu’une simple suspension temporaire des armes destinée à la gestion sanitaire des corps blessés ou des cadavres sur le champ de bataille, ou encore à l’évacuation des civils ? La décision de mettre fin au combat est indéniablement le fruit de rapports de force politiques et/ou militaires à différentes échelles dont il s’agit de retracer les contours. On pistera le moment où les belligérants décident qu’il faut cesser le feu/sont contraints de le faire. On s’interrogera aussi sur les modalités pratiques : prises de contact avec l’ennemi et négociations sur la manière de procéder. On sera attentif aux figures de la médiation : diplomates, interprètes, autorités civiles et spirituelles, etc.
Acteurs, obéissances et désobéissances
L’un des objectifs du colloque est en effet de suivre au plus près les différents acteurs impliqués ou au contraire écartés dans la décision de cesser les combats. La question sera envisagée à toutes les échelles, des cabinets ministériels et états-majors centraux aux commandements de théâtres d’opérations jusqu’aux combattants eux-mêmes, en passant par les communautés locales à proximité du front. Quelles sont les marges de manœuvre de chacun ? Cette multiplicité d’acteurs aux intérêts parfois divergents n’est pas sans conséquence sur la forme prise par l’arrêt du feu. Celui-ci peut être imposée « par en haut », mais la pression en faveur d’une négociation peut aussi émerger du champ de bataille, quand les cadres de contact décident d’épargner leurs hommes ou quand les soldats ne peuvent/veulent plus combattre. Il s’agit ainsi de saisir les motivations des combattants qui souhaitent cesser le feu contre les ordres, ou au contraire refusent de cesser le feu malgré ceux-ci. Ce faisant, il s’agit de réinterroger la relation d’autorité dans les armées, autant que l’obéissance/la désobéissance. On s’intéressera aussi à la manière dont est perçu celui qui décide de rendre les armes, en questionnant les ressorts de l’imaginaire combattant et de la culture militaire.
Transgressions et négociations
Le projet a donc pour ambition de s’intéresser au plus près à la mise en œuvre concrète de la cessation des combats. Il s’agira ainsi de saisir finement la fin des combats au prisme des rituels qui sont déployés. On retracera les temporalités de la mise en œuvre de l’arrêt des combats, les éventuelles résistances locales, autant qu’on questionnera le respect des engagements pris, ou, au contraire, les transgressions. Le sort prévu et finalement réservé aux vaincus/aux blessés/aux prisonniers constitue un aspect central de l’analyse de la sortie du combat et dit beaucoup sur la nature de la guerre menée. Loin d’être uniquement et toujours le résultat d’un déploiement d’une violence sans limites, ou d’un ensauvagement, les transgressions à l’égard des vaincus peuvent aussi relever d’une violence transactionnelle, fondée sur des logiques de réciprocités et de représailles.
Règles partagées et code de l’honneur
Ce colloque a pour ambition de questionner, dans une perspective diachronique et comparatiste, les normes et les pratiques – juridiques, sociales et culturelles – régulant la possibilité même de cesser le feu. Ce choix – ou ce non-choix – s’inscrit dans un répertoire d’actions plus ou moins large, évolutif depuis l’Ancien Régime, autant que dans une mémoire du passé. Quelles autres options sont alors juridiquement, militairement, culturellement envisageables, et pourquoi ? Ce sera là sans doute l’occasion de (re)questionner, au prisme de l’arrêt du combat, la nature des guerres concernées. Observe-ton des différences fondamentales entre guerre civile, guerre « totale », guerre de conquête coloniale ? Car l’arrêt du combat dépend certes d’une économie de moyens, mais aussi de la manière dont on se représente et qualifie l’ennemi. Comment les deux dimensions s’articulent-elles ?
En résumé, les communications s’inscriront en priorité dans les axes suivants :
- Le processus de décision et modalités concrètes de la mise en œuvre de l’arrêt des combats
- Les acteurs (civils et militaires) et leurs marges de manœuvre
- L’arrêt du combat, ses transgressions et ses violences
Modalités pratiques :
Les langues de travail du colloque seront le français et l’anglais, pour une communication de 20 minutes. Les contributions (500 mots) ainsi qu’une courte biographie académique sont à envoyer en français ou en anglais, avant le 1er juillet 2018, à l’adresse suivante : colloque.ceasefire@gmail.com
Les auteurs des contributions retenues par le conseil scientifique seront avertis avant le 15 juillet 2018.
Les organisateurs du colloque prennent en charge :
Les frais de transport, d’hébergement et de restauration pour les intervenants et intervenantes ne résidant pas en région parisienne.
Les repas du midi des 27 et 28 novembre 2018.
Direction scientifique :
Michael Epkenhans (ZMS-Bw)
Claire Miot (SHD)
Thomas Vaisset (SHD)
Paul Vo-Ha (Paris 1)
Conseil scientifique :
Walter Bruyère-Ostells
Beatrice de Graaf
Gehrard Gross
Benjamin Deruelle
Emilie Dosquet
Bertrand Fonck
Virginie Martin