L'OTAN 

Les alliances militaires, la gestion et l'usage des moyens de la guerre

juin 2023

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Date limite d'envoi : 31 janvier 2023

 

Participant du décloisonnement des études sur la guerre dans le cadre du programme Sorbonne War Studies de l'université Panthéon-Sorbonne (sorbonnewarstudies.pantheonsorbonne.fr) cet appel à communication propose de revisiter de façon interdisciplinaire la place des alliances militaires dans la sécurité et la défense collectives, et en particulier celle de l'OTAN.

La guerre en Ukraine a remis l'OTAN sur le devant des scènes publiques et médiatiques. Le retour de la guerre interétatique de haute intensité en Europe ravive les attentes de défense collective, redonnant à l'alliance atlantique une place centrale - en témoigne son élargissement à la Finlande et à la Norvège.


Les fragilités de l'alliance atlantique

L'OTAN semble revenir de loin. Après l'effondrement du bloc soviétique, la menace qui lui donnait sa raison d'être avait largement disparu (Rynning 2005 ; McCalla 1996). Pendant 30 ans, sous la pression du désengagement américain, des discussions récurrentes et insistantes ont porté sur le partage du fardeau et la disparité des efforts d'investissements militaires des États membres (McGerty, Kunertova, Sargeant and Webster 2022 ; Odehnal and Neubauer 2020). Ces déséquilibres sont généralement expliqués par la tentation d'une stratégie de passager clandestin (Jakobsen 2018 ; Olson and Zeckhauser 1966) ou comme une réponse aux pressions variables de l'État dominant l'alliance (Blankenship 2022).

Les dirigeants américains, qui, à l'instar du Président Donald Trump, iront jusqu'à douter de l'utilité de l'OTAN, ont progressivement tourné leurs regards vers la Chine et l'Indopacifique, devenus des priorités stratégiques. Et la place de l'OTAN dans ce virage géopolitique ne semble pas aisée à trouver (Kim, Lucas, Reynolds and Yano 2022 ; Rynning 2022).

En 2001, la clause de défense mutuelle de l'article 5 avait pourtant été activée après les attentats du 11 septembre. Mais dans leurs réactions militaires, les États-Unis ont souvent privilégié des coalitions ad hoc, avec des systèmes de décisions plus souples et mieux contrôlés par la puissance hégémonique.


Les enjeux sécuritaires, institutionnels et industriels du recours à l'OTAN

L'OTAN est toutefois plus qu'une alliance militaire défensive de circonstances. Et 2022 ne marque pas nécessairement le relèvement d'une crise institutionnelle de trente ans (Pomarède, 2020). Alors que l'OTAN préparait la guerre, pendant la guerre froide, elle a concrètement mené des opérations - d'envergure certes limitées - quelques années à peine après l'effondrement du bloc soviétique. Dans les années 1990, l'OTAN a été directement impliquée dans les guerres yougoslaves, en Bosnie-Herzégovine puis en Serbie et au Kosovo. Dans les premières décennies du XXIème siècle l'OTAN a été l'un des instruments de la guerre en Libye et a mené la plus vaste opération militaire de son histoire en Afghanistan (Eichler 2021). 

Devenue une organisation de sécurité collective, de gestion des crises, humanitaires et même sanitaires, l'OTAN a bénéficié d'un relatif essor du multilatéralisme. Elle s'est adaptée, a élargi géographiquement et politiquement ses périmètres d'intervention (Hallams, Ratti and Zyla 2013 ; Sperling, Smith and Webbe 2012). Plus largement, l'OTAN est, depuis des décennies, un lieu d'expérimentation, de construction d'instruments et de savoirs. Elle constitue l'un des espaces dans lequel se reconfigurent les concepts de la guerre et de la sécurité, où sont pensées et négociées les nouvelles menaces, où évoluent et se transforment les métiers de la guerre, les professions de la sécurité. Une alliance comme l'OTAN permet de façonner des doctrines, des standards, des outils, une interopérabilité des armées, d'intégrer des chaînes de commandant, de normaliser des équipements. Tous ces effets d'institution sont autant des facteurs de consolidation de l'organisation (Mayer 2014 ; Irondelle et Lachmann 2011). 

L'OTAN est également un enjeu industriel et financier considérable. L'interopérabilité des armées, des équipements, les moyens de la dissuasion, les structures de commandement et de planification captent une grande partie des budgets militaires de ses membres et de leurs investissements.


Les alliances militaires dans la dynamique des relations inter-étatiques

Plus fondamentalement encore, s'interroger sur la place de l'OTAN dans le monde contemporain conduit à une réflexion plus large sur l'impact des alliances militaires dans la régulation des tensions inter-étatiques. Les alliances, les pactes, les ligues orientent et organisent, depuis les origines, les relations entre États. Elles sont au cœur de processus qui ont parfois fondé la paix dans l'équilibre des puissances et la dissuasion, d'autres fois mené aux conflits, jusqu'aux plus massifs de l'histoire. De la ligue de Délos au pacte germano-soviétique, de la Sainte alliance à la triple entente, de la ligue d'Augsbourg au Pacte de Varsovie, ou encore l'Organisation du Traité de Sécurité Collective, les exemples abondent, par centaines, témoignant de la place centrale des alliances militaires dans la construction des États, dans les normes et les pratiques régissant leurs relations (Snyder 2007). 

La participation à une alliance s'accompagne d'un aléa moral concernant l'évolution du comportement de ses membres. Les garanties de protection fournies par l'alliance peuvent accroître les risques de conflits en procurant aux États un surcroît d'assurance face à des rivaux, mais aussi les réduire pas ses effets dissuasifs (Benson, Meirowitz and Ramsay 2014 ; Benson 2012). Et comment, dans un système politique mondial structurellement anarchique, s'assurer de la loyauté des membres de l'alliance ? Comment gérer et anticiper les mises à l'épreuve de cette loyauté ? Comment s'exercent à l'inverse des pressions à la déloyauté, pour éviter notamment une intensification et une extension générale d'un conflit (Henry 2020) ? 

Et qu'en est-il des tensions entre alliés ? Les alliances facilitent-elles ou compliquent-elles la résolution de ces conflits, comme par exemple la double appartenance à l'OTAN dans le cas gréco-turque (Krebs 1999) ? Plus généralement, l'OTAN est une organisation par rapport à laquelle, avec et contre laquelle d'autres se définissent et se construisent. Quels sont les enjeux des relations de coopération et de concurrence entre l'OTAN et les autres organisations de sécurité collective contemporaines ? En quoi l'évolution et la solidité des alliances militaires ont-elles un impact sur les risques de guerre à l'âge nucléaire et sur les risques de prolifération ?

Autour de l'OTAN, les questions sont vastes et il apparaît particulièrement fécond de croiser les regards disciplinaires, d'en saisir les dimensions historiques, géographiques, politiques, juridiques, économiques, financières, sociologiques et anthropologiques. C'est pourquoi, les propositions empruntant ou discutant des concepts, des méthodes et des théories d'autres disciplines, ou celles portées par deux ou plusieurs spécialistes de disciplines différentes sont vivement encouragées. Les propositions de communication feront 5 000 à 6 000 signes. Elles seront précédées d'un résumé de 100 mots et suivies d'une liste de 5 références bibliographiques. Elles seront envoyées à Yves Buchet de Neuilly (Yves.Buchet-de-Neuilly@univ-paris1.fr) avant le 31 janvier 2023. Le comité scientifique rendra son avis avant le 1er mars 2023.
 

Comité scientifique

Alya AGLAN, Yves BUCHET DE NEUILLY, Grégory DAHO, Hervé DREVILLON, Louis GAUTIER, Caroline MORICOT, Olivier RENAUDIE, Yann RICHARD, Stéphane RODRIGUES, Philippe VIAL
 

Indications bibliographiques 

Brett V. Benson, Constructing International Security: Alliances, Deterrence, and Moral Hazard, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
Benson, Meirowitz et Ramsay, « Inducing Deterrence through Moral Hazard in Alliance Contracts », Journal of Conflict Resolution, vol. 58, no 2,‎ 2014, p. 307–335.
Blankenship B. 2022, "The Price of Protection: Explaining Success and Failure of US Alliance Burden-Sharing Pressure", Security Studies, 30 (5),‎ pp. 691–724.
Eichler J., 2021, NATO's Expansion After the Cold War: Geopolitics and Impacts for International Security, Springer.
Hallams E., Ratti L. and Zyla B. (éds), 2013, NATO Beyond 9/11: The Transformation of the Atlantic Alliance, New York, Palgrave Macmillan.
Henry, « What Allies Want: Reconsidering Loyalty, Reliability, and Alliance Interdependence », International Security, vol. 44, no 4,‎ 2020, p. 45–83.
Jakobsen J., 2018, "Is European NATO really free-riding? Patterns of material and non-material burden-sharing after the Cold War", European Security, 27 (4), pp. 490-514.
Kim E., Lucas H.-D., Reynolds J. and Yano H., 2022, "NATO's position and role in the Indo-Pacific", Defence Studies, 22 (3), pp. 510-515.
Krebs, « Perverse Institutionalism: NATO and the Greco-Turkish Conflict », International Organization, vol. 53, no 2,‎ 1999, p. 343–377.
Mayer S. (éd.), 2014, NATO's Post-Cold War Politics: The Changing Provision of Security, New York, Palgrave Macmillan.
McCalla R., 1996, "NATO's Persistence after the Cold War", International Organization, Summer, 50 (3), pp. 445-475.
McGerty F., Kunertova D., Sargeant M. and Webster A., 2022, "NATO burden-sharing: past, present, future", Defence Studies, 22 (3), pp. 533-540.
Odehnal J. and Neubauer J., 2020, "Economic, Security, and Political Determinants of Military Spending in NATO Countries", Defence and Peace Economics, 31 (5), pp. 517-531.
Olson M. and Zeckhauser R., 1966, "An Economic Theory of Alliances", The Review of Economics and Statistics, 48 (3), pp. 266–279.
Pomarède J., 2020, La fabrique de l'OTAN : Contre-terrorisme et organisation transnationale de la violence, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles.
Rynning S., 2005, NATO Renewed: The Power and Purpose of Transatlantic Cooperation, New York, Palgrave Macmillan.
Rynning S., 2022, "NATO's Struggle for a China Policy: Alliance, Alignment, or Abdication?", Asian Affairs, 53 (3), pp. 481-499.
Snyder G., 2007 (1997), Alliance Politics, Cornell University Press.
Sperling J., Smith M. and Webber M., 2012, NATO's Post-Cold War Trajectory: Decline or Regeneration?, London, Palgrave Macmillan.